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Pour Gianni Di Paoli, il est «urgent d’agir» sur la réforme des retraites


Gianni Di Paoli ne voit pas «pour l’instant» d’indices selon lesquels le soutien financier du gouvernement à l’enseignement supérieur sera raboté.

Gianni Di Paoli, le président de l’Association des cercles d’étudiants luxembourgeois (ACEL), souligne l’importance de mener une réforme équitable du système des retraites. Le maintien des années d’études pour le calcul des pensions semble être acquis.

La large consultation lancée par la ministre de la Santé et de la Sécurité sociale, Martine Deprez, sur l’avenir des pensions est désormais clôturée. L’Association des cercles d’étudiants luxembourgeois (ACEL) y a pris part.

Son président, Gianni Di Paoli, revient sur les échanges de ces derniers mois. Il se positionne aussi sur les récentes attaques menées par le président Donald Trump contre les universités américaines.

Jeudi a eu lieu la dernière des trois tables rondes d’experts qui ont clôturé la large consultation sur une réforme des pensions. L’ACEL était représentée lors de ces discussions. Quel bilan tirez-vous des échanges?

Gianni Di Paoli : Cet exercice s’est avéré être absolument intéressant. Il a été judicieux d’instaurer cette nouvelle plateforme qui a permis aux parties prenantes d’échanger et de soumettre leurs positions sur l’avenir du système des pensions.

Au vu du nombre d’acteurs assis autour de la table, le temps de parole était certes limité. On a aussi pu constater que les représentants politiques n’ont pas encore voulu mettre toutes leurs cartes sur la table.

Ils se sont montrés plus réservés, ce qui a parfois rendu compliquée une discussion plus dynamique. Malgré tout, nous saluons le fait que les jeunes se sont vu offrir une si grande opportunité pour s’exprimer.

Dès le départ, la volonté du gouvernement a été d’impliquer la jeune génération dans la discussion autour des pensions, alors qu’il y avait certaines réticences. Êtes-vous soulagés de ne pas avoir été mis à l’écart?

L’ACEL a eu dès le mois d’avril 2024 une première entrevue avec la ministre Martine Deprez au sujet des pensions. Lors de cette réunion, nous avons insisté pour que les jeunes soient impliqués dans la discussion.

Nous avons été consultés et nous sommes convaincus que la ministre nous a écoutés. Il reste à savoir dans quelle mesure nos revendications seront prises en compte.

Dans un sondage mené parmi vos membres, moins de la moitié des étudiants interrogés ont indiqué comprendre le fonctionnement du régime des retraites. S’agit-il d’un frein pour le débat?

Le souhait de participer au débat est clairement présent, à condition d’être bien informé. L’ACEL a donc lancé une campagne d’information à destination des étudiants. Il est à remarquer que, dans le cadre de notre sondage, nous avons récolté, dans la tranche d’âge des 16-31 ans, quatre fois plus de réponses en comparaison avec la plateforme gouvernementale « Schwätz mat! ».

Nous avons tenté d’expliquer les bases du régime, sans pouvoir combler un déficit d’éducation. Les acteurs présents aux tables rondes conçoivent qu’il existe un problème structurel. La nécessité de renforcer l’éducation financière dans les écoles est reconnue.

Il est important que les jeunes qui accèdent au marché du travail sachent pourquoi ils cotisent, car il est difficile de soutenir un système sans vraiment comprendre ses tenants et aboutissants.

Une de vos revendications majeures est le maintien des années d’études pour le calcul des pensions. Le camp patronal y est plutôt opposé, contrairement aux syndicats et à une large majorité des partis représentés à la Chambre. Quelle est la conclusion qui se dégage sur ce point?

Sur la base des discussions que l’on a eues avec les différents acteurs, je pense qu’un consensus se dégage pour garder les années d’études dans la formule de calcul des pensions. Il s’agit, selon nous, d’un critère qui contribue à maintenir l’attractivité économique du Luxembourg.

Nous sommes confrontés à un manque de main-d’œuvre. Il est donc primordial de continuer à miser sur la formation, mais aussi d’attirer des personnes qualifiées depuis l’étranger. Le système des pensions repose d’ailleurs sur la création d’emplois et la croissance économique.

Dans cet ordre d’idées, l’ACEL s’est aussi engagée pour obtenir une flexibilisation et une modernisation de la prise en compte des années d’études. Il ne faut plus se limiter à la période entre 18 et 27 ans, mais accorder une période de neuf ans d’études, indépendamment de l’âge. Notre proposition a obtenu un large soutien.

Au-delà des années d’études, quelles sont les revendications de l’ACEL par rapport à une réforme des pensions?

On évoque toujours le contrat de générations, conclu entre les retraités et les plus jeunes. Il faut continuer à s’appuyer sur ce principe afin d’assurer une équité intergénérationnelle. La réforme ne doit pas impacter seulement les jeunes.

Les changements à venir doivent être équitablement répartis entre l’ensemble des catégories d’âge. Chacun doit contribuer à la sauvegarde des pensions.

Il serait inadmissible que les jeunes qui cotisent aujourd’hui se retrouvent les mains vides au moment de prendre leur retraite. Nous avons donc besoin d’un système durable et d’une réforme équitable.

Redoutez-vous que la jeune génération soit tout de même plus lourdement mise à contribution?

Il est évident que les conséquences seront plus importantes pour notre génération. Les jeunes en sont conscients, et nous voyons une volonté de procéder à des ajustements pour s’assurer que le système des pensions restera viable sur le long terme.

Une piste est l’introduction d’incitatifs pour rapprocher l’âge de départ effectif du seuil légal de 65 ans. Cela doit se faire sur une base volontaire. La reconnaissance des années d’études pour le calcul de la pension peut constituer un tel incitatif.

À quoi pourrait ressembler une réforme acceptable aux yeux de l’ACEL?

Il est très difficile de se positionner, car le gouvernement n’a encore rien laissé transparaître de ses intentions. Lors des tables rondes, la ministre s’est contentée de mots de bienvenue et de clôture, sans donner d’autres indices.

On nous a assuré que les contours de la réforme seront dévoilés avant les vacances d’été. J’espère que le gouvernement ne part pas d’une feuille blanche. Il faudra attendre ce qui sera finalement mis sur la table. Nous serons prêts à nous positionner.

«On est convaincu que la ministre nous a écoutés. Il reste à savoir dans quelle mesure nos revendications seront prises en compte», affirme Gianni Di Paoli.

Contrairement au camp syndical, l’ACEL convient de l’urgence de mener une réforme à court terme. Pourquoi?

On sent que les jeunes, y compris les étudiants, reconnaissent l’urgence d’agir. Il est vrai qu’il est difficile d’établir des projections fiables à l’horizon 2070, mais, malgré tout, nous sommes confrontés à un changement démographique, l’espérance de vie augmente et la croissance économique s’est malheureusement réduite ces dernières années.

Il est donc important de mener maintenant cette réflexion, car, rappelons-le, l’IGSS (NDLR : Inspection générale de la sécurité sociale) prévoit dès 2026 un déséquilibre entre les recettes et les dépenses du régime, chiffré à 100 millions d’euros.

Il faut au moins s’assurer que le système restera viable dans les années à venir. En même temps, il ne faut pas se faire d’illusions : la réforme à venir ne va pas perdurer quarante ans. Il est probable que l’on devra, à moyen terme, s’y atteler une nouvelle fois.

En novembre 2023, Stéphanie Obertin a repris en main les ressorts de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Quel est le premier bilan de votre coopération avec la ministre, venue succéder à Claude Meisch?

Nous entretenons un échange professionnel, constructif et régulier. Elle est attentive aux préoccupation des étudiants. La plupart du temps, on réussit à trouver des solutions ensemble.

Il est aussi positif que Mme Obertin soit en charge de la Digitalisation, un domaine qui, avec le développement de l’intelligence artificielle, jouera un rôle important à l’avenir.

En octobre dernier, l’ACEL a signé avec la ministre une déclaration d’intention qui sert de base à l’adaptation du système d’aides financières de l’État pour les étudiants. Pouvez-vous en dire plus sur les changements à venir?

On est d’accord pour maintenir les principes du système existant, avec l’attribution de différentes bourses d’études en fonction de différents critères. Au vu des évolutions de ces dernières années, l’intention est d’évaluer le besoin d’une revalorisation.

On peut notamment envisager que les coûts liés à la traduction de diplômes ou pour la reconnaissance de l’équivalence de diplôme soient davantage pris en compte. Le projet de loi est en cours de rédaction.

Le texte final fera l’objet d’une nouvelle consultation, avant qu’il soit déposé, si possible avant l’été, à la Chambre. L’objectif est que les adaptations puissent entrer en vigueur à partir de la rentrée 2026/2027.

Au vu du contexte géopolitique tendu, le Luxembourg sera obligé de revoir à la hausse son effort de défense. Le ministre des Finances, Gilles Roth, a déjà laissé entrevoir qu’il faudra revoir les priorités pour supporter ce coût. Ne craignez-vous pas que les bourses d’études fassent l’objet de coupes?

Le monde dans lequel nous vivons est très complexe, dans beaucoup de domaines. Nous voyons à de nombreux endroits que l’enseignement supérieur est attaqué, aussi sur le plan financier.

Couper ces budgets permet de faire rapidement des économies, mais l’effet négatif se fera ressentir plus tard. Il est louable qu’une telle évolution ne soit pas encore à déceler au Grand-Duché. On voit que les investissements dans l’université du Luxembourg et dans les aides financières pour les étudiants restent importants.

Le budget pluriannuel prévoit une augmentation continue des montants consacrés à l’enseignement supérieur. L’ACEL salue clairement le fait que l’importance de ce domaine soit toujours reconnue. Pour l’instant, nous n’avons pas d’indices selon lesquels le soutien sera remis en question.

Dans ce contexte, comment jugez-vous les attaques frontales du président américain contre la liberté académique? 

Nous avons pris contact avec plusieurs des 140 étudiants luxembourgeois qui sont inscrits dans des universités américaines. On a voulu savoir quel était leur ressenti. Un échange a aussi eu lieu avec le ministère de l’Enseignement supérieur.

Pour l’instant, nous n’avons pas connaissance de problèmes majeurs. Il faut néanmoins dire que les retours obtenus depuis les États-Unis sont tout à fait effrayants. Un climat de peur règne sur les campus américains.

Les étudiants avec lesquels on a pu échanger refusent catégoriquement d’être cités avec leur nom, y compris ici au Luxembourg, par peur que des critiques exprimées se retournent contre eux. Ils connaissent d’autres étudiants étrangers dont le visa a déjà été annulé.

Il ne s’agit plus d’un danger hypothétique, mais d’une pratique qui sème la panique dans les universités américaines. Le climat ne peut être plus toxique.

OSZAR »