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Sam Tanson : «Il est plus que jamais important et urgent d’organiser une tripartite»


«Pour calculer le salaire social minimum, le gouvernement ne prend en compte que ce qui l’arrange.»

Sam Tanson, qui a fait partie de l’ancienne coalition tricolore, observe le changement de narratif des libéraux. Les questions écologiques et sociales ne sont pas les priorités de ce gouvernement et la députée ne voit pas de plan de lutte contre la pauvreté.

Les verts ont connu une hécatombe aux dernières législatives, mais reprennent du poil de la bête, comme l’a indiqué un dernier sondage. Comment analysez-vous cette remontée des écologistes?

Sam Tanson : Je ne vais pas cacher que ça nous a bien entendu fait plaisir de voir qu’il y a une tendance positive. Mais ça reste un sondage, une vue momentanée. Cela étant, ce résultat nous a encouragés à continuer dans la direction dans laquelle nous sommes partis. Nous faisons, je pense, un travail assez conséquent au niveau de la Chambre des députés. Nous nous engageons beaucoup, avons beaucoup de présence. Vu la politique que mène le gouvernement actuel, il y a énormément de points sur lesquels on doit être vigilant. On voit qu’il y a beaucoup de régressions en matière de protection du climat et de l’environnement.

La régression s’opère aussi bien sur le plan national qu’européen. Comment l’expliquez-vous?

C’est une grande contradiction. L’urgence est réelle. Or, au niveau du Parlement européen, on a une forte tendance vers les extrêmes, et surtout les extrêmes de droite. Pour ces gens-là, il n’y a pas de problème de changement climatique, ils ne cessent de ridiculiser les politiques climatiques. Il y a beaucoup de partis conservateurs et libéraux qui leur emboîtent le pas et qui se laissent entraîner par cette dynamique.

La Commission est restée la même pourtant…

Oui, c’est la même coalition que lors de la dernière période, la même présidente, mais qui est en train de détricoter toutes les bonnes propositions qu’elle avait lancées lors de la dernière période législative. C’est frappant et très regrettable. Il y a encore quelques années, tout le monde nous disait « mais on n’a pas besoin des verts« , que « tout le monde est écolo« , mais nous répondions qu’il y a toujours des opportunismes. Nous avons des partis qui n’écoutent que l’air du temps et qui suivent un peu les tendances.

Or, ce sujet exige une conviction et une expertise. Il faut une prise de conscience de l’urgence climatique attestée par tant de scientifiques. Les partis au pouvoir sont en train de se démasquer aussi bien au niveau européen qu’au niveau national. Nous avions de 2013 à 2018 un Premier ministre autodéclaré « Klimapremier«  qui maintenant soutient une politique qui va dans une tout autre direction.

L’Union européenne et les gouvernements nationaux se laissent également entraîner par la poussée américaine vers toujours plus de dérégulation, au nom de la compétitivité. Mais ce qui est intéressant, c’est qu’il existe des grands groupes d’entreprise qui disent le contraire, qui constatent cette urgence et ont conscience de la nécessité d’agir, qui exigent de la prévisibilité et des règles claires. Pour eux, la question climatique et celle des droits fondamentaux sont essentielles.

Le soi-disant « parti socio-libéral » tolère, voire supporte tout ce qui se fait contre les droits des travailleurs

Les verts et les socialistes ont fait partie du gouvernement pendant dix ans avec le DP qui, lui, est resté au pouvoir. Diriez-vous que les libéraux ont changé?

Aujourd’hui, le DP a un autre narratif, ils se disent « socio-libéraux« . Il y a quelques années, ils disaient qu’ils étaient le parti avec « le point vert« . Ce sont des girouettes et c’est bien une question d’opportunisme. Il y a un vrai décalage entre ce qui est dit et ce qui est fait. Le soi-disant « parti socio-libéral«  tolère, voire supporte tout ce qui se fait contre les droits des travailleurs.

C’est un peu facile de dire, par la suite, ne pas avoir été au courant, comme c’était le cas en ce qui concerne les retraites et les déclarations de Luc Frieden lors du discours sur l’état de la Nation. Ces derniers jours, Xavier Bettel a fini par confirmer avoir eu une copie du discours tenu par Luc Frieden à l’avance, il a même affirmé que le discours contenait de nombreuses contributions du DP. Donc soit c’est la communication interne du DP qui n’a pas fonctionné, alors qu’il aurait appartenu à Xavier Bettel – après sa lecture – d’en informer la présidente du parti et du moins les députés DP travaillant sur le dossier des retraites, soit ils n’ont réalisé qu’après coup que les propositions n’allaient pas faire l’unanimité et ont tenté de se déresponsabiliser au détriment du partenaire de coalition.

Le moment de vérité viendra dans tous ces dossiers (retraites, droit du travail, négociations collectives, organisation d’une tripartite) dans les prochains mois, nous verrons alors si le DP œuvre réellement en faveur d’une amélioration des propositions actuellement sur table. J’ai fait une demande d’accès aux documents pour obtenir le procès-verbal du Conseil de gouvernement du 2 mai 2025 pour voir ce qui a été décidé pendant ce Conseil lors duquel les grandes orientations ont été décidées au niveau des retraites.

Encore faut-il que vous ayez accès à ce document…

Suivant l’article 75 de la Constitution, les députés peuvent demander tout document et toute information au gouvernement. J’estime que le PV du Conseil de gouvernement tombe sous cette disposition, même si je m’attends à des réticences. Nous avons déjà à l’heure actuelle un problème avec la mise en œuvre de ce droit, étant donné que le gouvernement décide seul du niveau de confidentialité des documents demandés sans autre explication ou instance de recours interne.

En déclarant tout document comme étant confidentiel, nous ne pouvons exercer notre mission constitutionnelle de contrôle du gouvernement. Que fait-on si l’on constate un mensonge flagrant? Notre règlement prévoit des sanctions si on ne respecte pas cette confidentialité. Nous avons demandé un avis à la cellule scientifique, pour savoir si les sanctions prévues par le règlement sont constitutionnelles au regard de l’immunité dont bénéfice le député dans le cadre de l’exercice de ses fonctions.

Nous devons prévoir un mécanisme pour nous permettre d’utiliser les informations dans des documents déclarés confidentiels, s’il y a un vrai souci par rapport au travail du gouvernement.

Le pays traverse une crise, avec des syndicats qui ne veulent plus se mettre autour de la table et qui appellent à la tenue d’une tripartite. Que pensez-vous de cette situation?

Il s’agit de questions éminemment importantes. On a une longue tradition au Luxembourg de paix sociale, avec un dialogue qui fonctionne. Il y a toujours eu des discussions, il y a toujours eu des moments un peu plus chauds que d’autres. Je suis l’actualité politique depuis très longtemps, et je ne me souviens pas de ce genre d’ambiance entre les syndicats et le gouvernement qui n’essaye même pas de calmer le jeu. J’ai l’impression que la coalition au pouvoir ne se rend pas compte du risque que cela représente, aussi, pour notre environnement économique.

Le fait qu’on ait très peu de conflits sociaux, que les grèves sont rares, que les grosses manifestations sont tout aussi rares, c’est une plus-value pour le Luxembourg. C’est un facteur de stabilité, mais aussi de compétitivité, pour reprendre une formule chère à cette coalition. Donc, je ne comprends pas cette démarche. On a l’impression qu’ils jouent aux éléphants qui traversent un magasin de porcelaine et qui y prennent du plaisir.

«Nous avons des partis qui n’écoutent que l’air du temps et qui suivent un peu les tendances.» (Photos : hervé montaigu)

La manifestation du 28 juin ne semble pas émouvoir le Premier ministre, Luc Frieden, qui a répété à l’envi que ce sont les députés qui prendront leurs responsabilités, dans le respect de la démocratie…

J’ai l’impression qu’il ne mesure pas l’importance de cette démarche. Nous avons deux syndicats majeurs – qui s’entendent comme jamais auparavant et je ne pense pas que c’était l’intention du gouvernement de rassembler l’OGBL et le LCGB – qui disent à l’unisson que ça suffit et qu’ils veulent une tripartite.

Ils veulent discuter sérieusement, ne pas seulement être reçus pour une séance photo, mais un réel échange, une recherche de compromis. Nous disposons maintenant des avis du Conseil d’État sur le travail du dimanche et l’allongement des heures d’ouverture dans les commerces qui donnent raison aux syndicats.

On verra désormais comment le gouvernement va procéder. La seule proposition raisonnable, ce serait de se remettre à table avec les syndicats et de travailler sur une proposition qui sera acceptable et acceptée. J’ai entendu Luc Frieden déclarer à la radio qu’après cette manifestation du 28 juin « la vie continuera« . On verra comment. La démocratie qui s’exprime dans la rue lui paraît être quelque chose d’abstrait.

Le gouvernement avait fait de la lutte contre la pauvreté sa première priorité. Sommes-nous loin du compte, surtout en ce qui concerne le salaire social minimum?

Oui, et on le voit bien, justement, avec la transposition de la directive sur le salaire minimum. C’est une véritable provocation. Pour calculer le salaire social minimum, le gouvernement ne prend en compte que ce qui l’arrange, à savoir les salaires du secteur privé et non ceux du secteur public, pour ne pas avoir à augmenter le salaire social, alors que toutes les analyses montrent qu’il n’est pas suffisant.

On nous parle d’un plan de lutte contre la pauvreté, mais la première mesure à prendre serait de permettre aux gens qui travaillent à temps plein de pouvoir vivre décemment de leur salaire et non pas les exposer à un risque de pauvreté. La proposition du gouvernement est vraiment hallucinante et montre le désintérêt total pour la question sociale de cette coalition.

Il est plus que jamais important et urgent d’organiser une tripartite parce qu’il y a le salaire social minimum, les retraites, les conventions collectives, les horaires d’ouverture, etc. Si on mettait le patron de l’UEL au ministère d’État, on aurait à peu de chose près la même politique.

Vous avez lancé un appel vibrant pour que cessent les atrocités commises à Gaza et, enfin, le gouvernement semble vouloir changer de cap. Quels espoirs vous reste-t-il sur la question d’une reconnaissance de la Palestine?

Je ne vois pas encore ce changement de cap. Xavier Bettel a listé une douzaine de conditions qui devraient être réunies pour reconnaître la Palestine, certaines semblent très précaires. La France, qui co-organise la conférence de New York, a énormément nuancé sa position ces derniers jours et le gouvernement luxembourgeois aime bien suivre Emmanuel Macron.

Mon optimisme est dès lors limité. Mais au-delà de la question de la reconnaissance, je m’attends à un positionnement beaucoup plus clair face au gouvernement israélien, en termes de sanctions, d’arrêt des relations commerciales, de positionnement quant aux livraisons de munitions. Le deux poids deux mesures du gouvernement face aux deux conflits majeurs aux portes de l’Europe est incompréhensible. La population palestinienne étouffe, meurt de faim, perd tous ses repères.

Il y a eu des attaques terribles du Hamas contre la population israélienne le 7 octobre 2023, mais la réponse est disproportionnée et le gouvernement israélien ne cesse de violer le droit international. J’attends du gouvernement qu’il défende enfin les valeurs qui sont traditionnellement chères au Luxembourg

Repères

Formation. Sam Tanson, 48 ans, obtient en 2000 une maîtrise en droit de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne. Elle poursuit ensuite ses études universitaires à l’Institut d’études politiques de Paris, d’où elle sort diplômée en 2002. En 2008, elle suit également un master 2 en droit de l’environnement par correspondance à l’université de Limoges.

Écolo. Membre du parti déi gréng depuis 2005, Sam Tanson occupe au cours de sa carrière politique plusieurs fonctions au sein de son parti. Elle est porte-parole de déi jonk gréng de 2006 à 2007, porte-parole de déi gréng de 2009 à 2010 et présidente du parti de 2010 à 2015.

Politique. Elle devient en 2011 première échevine de la Ville de Luxembourg jusqu’en 2017. Elle est réélue conseillère communale en 2017. De 2015 à 2018, elle est membre du Conseil d’État. Elle devient députée pour la première fois en avril 2018.

Ministre. À la suite des élections législatives du 14 octobre 2018, Sam Tanson fait son entrée au gouvernement dans la coalition tricolore entre le Parti démocratique (DP), le Parti ouvrier socialiste luxembourgeois (LSAP) et les verts (déi gréng).

Députée. Sam Tanson, choisie par son parti pour être tête de liste aux élections législatives de 2023, fait son retour à la Chambre des députés après la défaite des verts qui n’obtiennent que quatre sièges.

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