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[Exposition] Maurizio Cattelan, entre provocation et dérision au Centre Pompidou-Metz


(Photo : zeno zotti)

Le Centre Pompidou-Metz, pour ses quinze ans, invite l’artiste italien Maurizio Cattelan, dont les œuvres, drôles, subversives et parfois mélancoliques, dialoguent avec des chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. Visite.

Une banane scotchée au mur ou un pan entier de l’atelier d’André Breton : une gigantesque exposition fait dialoguer la collection du Centre Pompidou à Paris avec les étonnantes œuvres de Maurizio Cattelan au Centre Pompidou-Metz, qui fête ses quinze ans. Le titre de l’exposition, «Dimanche sans fin», a été choisi par Maurizio Cattelan. «Pour un Italien, « sans fin », c’est une déclaration d’amour», décrypte Chiara Parisi, directrice du Centre Pompidou-Metz, elle aussi originaire de la péninsule, rapidement prolongée par l’artiste lui-même : «Pour moi, le dimanche, c’est le jour du temps libre, de la spiritualité et des loisirs. C’est une métaphore de la vie, où vous pensez différemment des autres jours parce que vous n’avez pas d’horloge!».

L’idée est aussi que le visiteur se plonge, en toute tranquillité, «comme un dimanche», dans cette exposition «hors-norme», qui a pris ses quartiers un peu partout dans le musée messin. À 64 ans, le plasticien iconoclaste et provocateur Maurizio Cattelan, qui a déjà exposé par le passé à Metz, a été invité à sélectionner les œuvres du Pompidou parisien qui doivent dialoguer avec les siennes. «Je m’y suis rendu comme dans une épicerie, tenté par toutes ces offres, choisissant certaines pour leur goût, d’autres, pour leur emballage», explique-t-il. Au total, il en a retenu 400, qu’il mélange avec quarante de ses créations, dans des effets de miroir et jeux de correspondance plus ou moins intelligibles.

Felix, le chat dinosaure

Dès l’entrée du musée, la très grande œuvre L.O.V.E. (2010) de l’artiste italien, représentant une main avec tous les doigts coupés à l’exception du majeur, attire l’œil. La première salle de la visite est tout aussi grandiose : Felix (2001), un gigantesque squelette de chat, qu’il a réalisé à l’échelle d’un dinosaure, apparaît dès l’entrée. Autour de ces grandes installations, des «chefs-d’œuvre» quittant «extrêmement rarement les murs du Centre Pompidou» à Paris, comme Le Bal Bullier peint par Sonia Delaunay en 1913, ou encore un pan de mur de l’extraordinaire atelier d’André Breton. Le visiteur peut aussi découvrir des œuvres emblématiques telles que La mère de l’artiste (1951) d’Alberto Giacometti ou Le Grand Nu (1908) de Georges Braque.

Dans une autre salle, l’échiquier de Marcel Duchamp, qui a récemment rejoint la collection du Centre Pompidou, dialogue avec la version contemporaine de l’échiquier de Maurizio Cattelan, Good Versus Evil (2003), sur lequel s’affrontent des figurines représentant les grands «bons» et «méchants» de ce monde, tels Hitler et Mère Teresa. L’exposition est construite autour d’un abécédaire en 27 lettres (avec le «A» pour «Air de famille» ou le «R» pour «Rappelez les corps»). Chaque lettre, plus une correspondant à «Dimanche», représente un espace de l’exposition… Le tout dans le désordre. Les textes correspondant à ces 27 notions sont porteurs d’une parole incarnée, celle de Maurizio Cattelan et des détenues de la prison pour femmes de la Giudecca à Venise.

Des œuvres renouvelées

L’exposition est présentée juste avant la fermeture pour travaux du Centre Pompidou à Paris, en septembre, jusqu’en 2030 pour une «métamorphose». Avec la fermeture du musée parisien, «il y a un vrai échange de public qui va arriver», et toute une «série de partenariats» a été créée pour que les œuvres voyagent en France et particulièrement à Metz, où Chiara Parisi s’attend à une arrivée des Parisiens mais aussi des Européens pour les découvrir ailleurs qu’à Beaubourg. Autre clin d’œil, un «jardin de sculptures» a germé au deuxième étage de Pompidou-Metz, avec des œuvres d’Henri Laurens (1885-1954) habituellement présentées sur la terrasse du cinquième étage du musée parisien.

L’exposition «Dimanche sans fin. Maurizio Cattelan et la collection du Centre Pompidou» sera visible pendant quasiment deux ans, jusqu’au 2 février 2027. Mais «dynamique», elle verra ses œuvres se renouveler au fil du temps, glisse Chiara Parisi. L’ouverture de l’exposition marque aussi l’anniversaire du musée messin, inauguré en mai 2015, avec son toit en forme de chapeau chinois. Avec plus de cinq millions de visiteurs depuis cette date, le musée est l’un des plus visités de France hors Paris. L’année dernière, selon ses comptes, il a enregistré quelque 308 438 visiteurs.

«Dimanche sans fin»
Centre Pompidou-Metz.
Jusqu’au 2 février 2027.

De la banane au baby-foot

Parmi la quarantaine d’œuvres de Maurizio Cattelan exposées au Centre Pompidou-Metz, il manque quelques-unes de ses créations les plus connues (et les plus subversives) : La Nona Ora (1999), représentation très réaliste du pape Jean-Paul II terrassé par une météorite, mais aussi Him (2001), figurant un Adolf Hitler repentant agenouillé en prière, ou ces toilettes en or massif 18 carats en parfait état de fonctionnement (America, 2019). Par contre, y figure bel et bien Comedian (2019), sa banane simplement scotchée au mur, exposée pour la première fois à Miami en 2019, et qui continue régulièrement de défrayer la chronique : un exemplaire a été vendu 6,2 millions de dollars en 2024… puis mangé par l’acheteur.

Au milieu d’œuvres de figures prestigieuses de l’histoire de l’art (comme Francis Bacon, Giorgio De Chirico, Sonia Delaunay, Max Ernst, Joan Miro, Picasso…), celles de Maurizio Cattelan ne manquent pas de piquant, ni d’idée. Dès l’entrée de l’exposition, le public – et notamment les amateurs de football – appréciera sûrement son baby-foot géant, long de 6 mètres, conçu pour deux équipes de onze joueurs. Sans oublier, en face, cette imposante plaque de granite noir qui, rappelant un mémorial aux morts, répertorie en réalité l’ensemble des défaites subies par la sélection anglaise entre 1874 et la Coupe du monde 2022 (face à la France).

Côté sculpture, l’artiste italien n’est pas en reste : on notera entre autres ses cinq chevaux plantés dans un mur par la tête (Untitled, 2007) et qui, contrairement aux traditionnels trophées de chasse, ne montrent que leur croupe, la queue tournée vers le public. Il y aussi Shadow (2023), représentant un réfrigérateur… avec une femme assise à l’intérieur, tous deux étant manifestement hors de contexte pour un musée. Avec Not Afraid of Love, Maurizio Cattelan expose aussi un éléphant drapé de blanc, façon Ku Klux Klan. Deux ascenseurs d’une hauteur d’une dizaine de centimètres, fonctionnant comme des vrais, feront le bonheur des plus jeunes, comme ces deux labradors paraissant protéger un poussin.

À propos de ses créations la plupart du temps considérées comme provocatrices, Maurizio Cattelan s’est expliqué, la semaine dernière, au Centre Pompidou-Metz : «Le malentendu, c’est l’histoire de ma vie! On m’a souvent pris pour un bouffon, un clown, un comédien, un provocateur. Mais je ne me suis jamais senti comme tel. Certaines de mes œuvres ont suscité des réactions que je n’avais pas anticipées, tandis que d’autres sont passées presque inaperçues. Si j’étais chef, je dirais qu’il est impossible de savoir si une recette fonctionne avant d’y goûter.» Preuve, pour conclure, de son côté plus «académique», voire poétique, cette grande peinture murale représentant une plante de pied (Father) – montrée sur la façade du pavillon du Vatican à la 60e Biennale de Venise – ou encore ce ballon suspendu à un lustre réalisé avec Philippe Parreno (La Dolce Utopia).

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